1914-1918: Quesnoy sur Deûle, une ville brisée par la guerre.
La Grande Guerre a fortement marqué l'histoire de la commune. On dira que c'est le cas de bien d'autres, qui ont été occupées et/ou se sont trouvées sur la ligne de front à un moment ou un autre. Mais deux faits donnent ici un crédit particulier à cette affirmation
- Quesnoy est resté très proche d'un front quasi-immobile pendant 4 ans, d'où une forte présence allemande, de fréquents bombardements, de lourdes pertes civiles, une commune détruite à 95% et pour finir une évacuation totale de la population transformant son territoire en une simple zone militaire pendant 15 mois
- la ville a été reconstruite, mais n'a pas retrouvé de longtemps son importance d'avant 1914, une partie notable des évacués et des entreprises qui les employaient n'étant pas revenue.
Les débuts du conflit: enthousiasme patriotique, pleurs et bobards
La mobilisation s'effectue en août 1914 à Quesnoy dans un mélange de patriotisme confiant, la conviction du bon
droit de la France étant générale, et de pleurs des mères et des épouses à cause de la séparation et de
l'inquiétude qu'elles éprouvent pour les leurs. Emile Baesen, premier inscrit sur le monument aux morts de la commune,
et premier mort connu des habitants -fin juillet 1915, alors qu'il a été tué en septembre 1914-, père de 5 enfants, est ainsi
parti avec enthousiasme . Les mobilisés s'efforcent de rassurer leur famille. Leurs premières lettres, lorsqu'ils n'ont pas
encore combattu, relaient une propagande qui surestime la capacité de résistance de l'armée belge ainsi que les résultats de l'offensive française en Alsace et
celle des Russes en Prusse orientale. Un peu plus tard, les atrocités réelles commises par les Allemands en Belgique sont amplifiées et
donnent de l'ennemi une image de sauvagerie que les conditions d'occupation n'aideront pas à faire disparaître.
La ville s'efforce de faire face aux premières conséquences de la guerre: perturbation des activités économiques de par
l'absence de nombreux hommes, réquisition de véhicules et de chevaux, censure des informations et circulation corrélative de
rumeurs invérifiables, passage de convois militaires, couvre-feu la nuit. L'espionnite se manifeste aussi, et une jeune fille inconnue dans la commune, en visite dans sa
famille, se voit ainsi suivre et interroger par un groupe d'habitants soupçonneux.
Le 6 octobre 1914.
Un mauvais signal
Dans le cadre de la "course à la mer", la région connaît début octobre une
série de combats jusqu'à la formation d'un front qui laisse l'essentiel de l'ex-châtellenie
de Lille aux mains des Allemands. Après une première incursion le 4, ceux-ci reviennent le 6 et
se heurtent à des troupes françaises. Celles-ci sortent victorieuses de l'engagement, dont la
date a été donnée comme nom à une rue de la ville en 1991, mais l'évolution
de la situation générale entraînera l'évacuation par les Français
et l'occupation par les Allemands quelques jours plus tard. Ce 6 Octobre, les civils terrés
chez eux vont avoir un aperçu de ce qui les attend: 2 jeunes gens sont fusillés,
un homme blessé par balle décédera quelques jours plus tard. Le Docteur Favier,
médecin de l'Assistance médicale, en congé au début de la guerre et qui a
effectué un long périple pour rejoindre la ville, a mal choisi son jour pour
s'adresser à la Préfecture afin de justifier son absence et redemander son poste. Il écrit "alors que les balles sifflent autour de la maison", affirme-t-il.
Octobre 1914- juin 1917.
Les civils sous une dure occupation
L'arrivée des Allemands s'accompagne de pillages, à commencer par celui des magasins, puis la vie se réorganise à l'heure allemande, au sens propre et au figuré. Un couvre-feu est instauré de 17 heures à 7 heures le lendemain. La proximité immédiate du front va se traduire pour la population par un double poids de la guerre. Les Quesnoysiens vont être soumis, sous la férule d'un commandant de place, à une occupation tatillonne, avec ses multiples règlements assortis d'amendes pour les contrevenants, ses "contributions" et réquisitions variées, ses contrôles permanents et ses perquisitions fréquentes, ses prises d'otages dés qu'est soupçonnée la moindre résistance, ses exécutions promptement organisées (2 hommes fusillés, une femme condamnée à mort en février 1915), son travail forcé. Ils sont concernés par l'affaire des sacs -la confection imposée aux civils de sacs qui seront remplis de sable pour la protection des tranchées allemandes- et plusieurs ouvrières réfractaires sont emprisonnées.
Mais aussi, bien qu'exploités et dépouillés, ils doivent loger des soldats parfois presque aussi nombreux qu'eux, et partager avec ces occupants bâtiments, rues, église -où sont célébrés des services protestants, à l'indignation de la population catholique- et jusqu'au cimetière: un cimetière allemand est aménagé dès la fin de 1914 près du cimetière communal et doté de monuments commémoratifs érigés avec des pierres récupérées à Lille, dont un subsiste encore. Ils subissent les bombardements de l'artillerie anglaise et de l'aviation naissante, qui causent la plupart des pertes civiles. Ils dépendent des comités d'alimentation, qui fournissent non seulement le ravitaillement, mais aussi vêtements et chaussures. L'adjoint faisant fonction de maire remercie ainsi fin 1915 le comité d'une distribution seulement annoncée , de peur sans doute qu'elle ne s'effectue ailleurs. Et la destruction du stock du comité, prévu à la fois pour Quesnoy et Deulémont, lors des violents bombardements de juin 1917, donnera lieu à des chamailleries entre les représentants des deux communes , alors qu'elles sont toutes deux évacuées...
Les habitants se serrent autour des autorités religieuses, très influentes à Quesnoy, et civiles -ce qui reste du Conseil municipal- qui s'efforcent d'atténuer les exigences de l'occupant avec lequel, lorsqu'il reste quelque temps, des relations humaines se nouent parfois. On connaît le prénom du soldat logé, s'il a des enfants, on échange avec le peu qu'on a, les occupants étant dans certains domaines plus démunis que les occupés. On est sensible aux centaines de blessés qu'on voit ramener au pensionnat transformé en hôpital militaire, et aux nombreux convois funèbres, même s’il s’agit d'ennemis. On pense aux siens, dont on n'a au mieux que de rares et fragmentaires nouvelles, datant quelquefois de plus de 6 mois, qui risquent le même sort. On doit s’entraider sous les bombardements.
Les photos d'époque, reprises dans les sites et les expositions ciblés sur la période, presque toutes d'origine allemande puisque photographier faisait bien sûr partie des interdictions édictées par la Kommandantur, montrent, en-dehors des activités de l'occupant lui-même, une ville de plus en plus détruite. Bien qu'accidentel -il est causé par le brasero que les observateurs allemands installés dans le clocher ont allumé pour se chauffer- l'incendie spectaculaire de l'église, le 17 mars 1917, qui va durer plusieurs jours, symbolise dans la mémoire collective la destruction de la cité.
L'occupation: les Allemands ont même leur café.
Les civils
Outre les difficultés de la vie quotidienne, ne peuvent que soigner les blessés et compter les morts: 45 soit le quart des pertes militaires
(180, 3,5% de la population, à peu près la moyenne nationale);
ce nombre ne peut inclure celles et ceux qui, affaiblis par des années de privations, verront leurs jours fortement abrégés. 43 noms de victimes
civiles sont inscrits, à la suite de ceux des soldats, sur le monument aux morts érigé en 1925.
L'évacuation.
Au printemps 1917, alors que la ville, selon L. Lebrun qui en a noté les dates, a déjà subi 70 bombardements
d'artillerie, sans compter les tirs "localisés" par exemple contre un objectif qui vient d'être repéré par un ballon captif ou un aéroplane,
l'intensité du pilonnage amène l'évacuation, en plusieurs vagues, de la population restante, déjà restreinte par des départs volontaires ou imposés.
Celle-ci est répartie dans des communes moins exposées, surtout dans le secteur de Roubaix-Tourcoing. Wattrelos reçoit ainsi 600 personnes. 200 autres sont envoyées en Belgique.
D'autres encore vont à Marcq, Bondues, Chéreng. Le cantonnier Ghesquière se retrouve pour sa part... aux Archives de Lille. Certaines personnes connaîtront ensuite le long voyage,
plusieurs semaines parfois, qui, sous les auspices de la Croix-Rouge, les amènera à Evian via la Belgique, l'Allemagne, la Suisse. Le premier de ces périples est organisé en avril 1915.
On notera qu'en ces temps où la plupart des Français voyagent peu, le départ volontaire de sa maison, tant que celle-ci n'est pas complètement détruite,
n'est souvent envisagé qu'avec répugnance; d'autant qu'il faut trouver un point d'accueil, laisser sur place l'essentiel de ses biens, obtenir l'accord de la Kommandantur,
qui n'oublie pas de faire payer son laissez passer... Il reste ainsi, malgré les conditions de vie décrites plus haut, plus de 3000 personnes début 1917;
l'évacuation finale en juin en concernera encore environ 1500.
Un désert de ruines.
Tandis que les bombardements se poursuivent, est suivie de nombreux incendies, allumés méthodiquement par les Allemands, seuls "habitants" désormais,
qui pillent auparavant tout ce qui est récupérable y compris les matériaux de construction. Avant de quitter la ville, en octobre 1918, dans le
cadre du repli général de leurs armées, ils détruisent toutes les infrastructures (ponts, écluse, voie ferrée) et les usines.
Suivant une évaluation faite peu après leur départ , et reprise par la municipalité à l'appui de ses demandes d'aide, 56 des 1182 immeubles
recensés dans la commune sont réparables, les autres étant jugés irrécupérables. Les Anglais qui reprennent la ville n'y trouvent que des
pans de mur et des tas de gravats et doivent monter des baraquements pour s'y installer, après avoir enlevé les nombreux obus non explosés. Dans les hameaux dépendant
de Quesnoy, les habitants de quelques fermes qui n'ont jamais été évacuées ou ont été réoccupées au printemps 1918, avec l'accord
de l'occupant soucieux de faire cultiver leurs champs, constituent la seule population civile. Il y a ainsi une quarantaine d'habitants dans le secteur du Chien
Un retour difficile
Les premiers retours se font dés la fin de 1918, dans des conditions extrêmement précaires. On s'installe dans des
parties de maison sommairement retapées ou des baraquements, tels les baraques Adrian, utilisées par l'armée dès 1915.
Un de ces éléments est monté au printemps 1919 pour servir d'église. Ces solutions ne suffisent pas à reloger les évacués
lointains, dont les demandes à la mairie d'attribution d'un abri reçoivent une réponse négative
. Cette situation va perdurer plusieurs années. En 1920, la préoccupation essentielle des quelques 1500 personnes rentrées et de leurs édiles,
qui multiplient les lettres aux autorités , est de trouver les moyens financiers et techniques de vivre et
de reconstruire. L'instituteur Denies, qui était parvenu à maintenir un enseignement pour les enfants jusqu'en 1917, et dont l'école se réduit
à 2 baraquements, réclame ainsi en septembre un supplément de charbon pour ces locaux difficiles à chauffer. L'attribution ce même mois de
la Croix de guerre à la commune, geste symbolique, ne peut évidemment répondre à ces attentes. La reconstruction du cœur de ville ne démarrera
vraiment qu'après l'approbation par l’État de son plan, en décembre 1921, et durera jusqu'au début des années 30.
Conclusion
Le terme "brisée" dans le titre doit s'entendre de deux façons. Il traduit bien sûr les destructions -des bâtiments
on ne récupérera souvent que les fondations- et les pertes humaines. Mais il s'applique aussi à l'évolution de la commune, à commencer par
sa démographie: 5121 habitants en 1911, 3503 en 1936, dernier recensement avant la 2ème guerre mondiale, soit une perte de près d'un tiers.
Peu de communes ont subi une telle chute de population. Quesnoy se voit dépassé par ses voisines Linselles et Pérenchies, pourtant elles-mêmes
durement éprouvées par la guerre. La reconstruction a certes renouvelé son urbanisme, avec un centre remodelé, une grande place rare dans
le secteur, une imposante église Saint-Michel souvent qualifiée de cathédrale. Mais Quesnoy, chef-lieu de canton, bourg rural actif en 1914, semble
incapable de surmonter le choc et se replie sur son passé. Il faudra attendre les années 1980 pour qu'il retrouve sa population de 1914 et se remette en mouvement.
Relève-toi Quesnoy !
Sources (hors celles mentionnées dans les notes)
Patrick ANSAR, Livre d'or des victimes civiles de Quesnoy sur Deûle mortes durant la première guerre mondiale 1914-1918, Les Amis de Quesnoy, 1er mai 1999
Marc BLANCPAIN, La vie quotidienne dans la France du Nord sous les occupations 1814-1944, Ed. Hachette, 1983
Historioscope, http://quesnoy-sur-deule.historioscope.com
Claire DOOLAEGHE, Journal de Guerre d'une Quesnoysienne, Les Amis de Quesnoy, 2 tomes, novembre 1998et novembre 2008
La guerre 14-18 à Quesnoy, Exposition de Quesnoy et son Histoire, novembre 2014
Le Nord en guerre, Exposition itinérante des Archives Départementales du Nord, 2013
Léontine LEBRUN (O de la Deûle), Une page d'histoire locale... Guerre 1914-1918, Le Quesnoysien, n°s 12 à 32, 1978-1986
Chantal PETILLON, La France occupée, Bulletin du Comité Picard n° 108, 2014
Les illustrations photographiques ont été réalisées à partir des archives de Léontine LEBRUN.
Michel BERTRAND
Quesnoy et son Histoire